«On a réussi à démystifier le problème des MGF», Dr Mariama Djélo Barry

06 Fév
  • Fév 06, 2025

A l’occasion de la Journée internationale de tolérance zéro à l’égard des Mutilations Génitales Féminines (MGF), chaque 6 février, KadiFM a rencontré une pionnière de ce combat en Guinée, la fascinante Dr Mariama Djélo Barry.

KadiFM : Comment êtes-vous entrée en lutte contre les MGF ?

 

Mariama Djélo Barry : Médecin gynécologue-obstétricienne de profession, j’ai pu observer de nombreuses complications dues aux MGF. Certaines, par exemple des épisiotomies nécessaires lors d’accouchements, ne sont pas des séquelles visibles, et par conséquent plutôt méconnues. Tous ces cas rencontrés dans mon quotidien ont renforcé mes convictions anti-MGF. Et en 1984, ce qui était un combat officieux est devenu officiel.

Dans ma lutte ouverte contre les MGF, j’ai bénéficié du soutien de grandes organisations internationales telle que l’ONU, du Président de la république de l’époque, ainsi que celui des chefs religieux comme le Cardinal Sarah, le ministre des Affaires Religieuses et le Président de la Ligue Islamique de l’époque. Grâce à ces soutiens de poids, j’ai pu contribuer au lancement d’une grande campagne nationale anti-MGF.

KadiFM : Quel est le résultat de ce combat anti-MGF ?

 

Mariama Djélo Barry : Il y a des avancées, mais elles sont extrêmement lentes. De 100 % de femmes excisées en 1984, nous en comptons encore 92 % aujourd’hui. Le résultat est très insuffisant, le peuple est mécontent. Après 30 ans de combat, la Guinée reste le 2e pays comptabilisant le plus de femmes excisées, juste après la Somalie !

KadiFM : Quelles sont les raisons de cette stagnation ?

 

Mariama Djélo Barry : Les MGF continuent d’être pratiquées à cause du non-respect de la législation. Les lois existent, mais ne sont pas appliquées. Les sages-femmes et infirmières pratiquent l’excision au sein même des centres de santé, alors qu’elles devraient être sanctionnées pour cela. Il y a une complicité tacite entre les parents et ceux qui doivent faire appliquer la loi.

Et puis, les gens ont tendance à lier les MGF avec la religion musulmane, mais c’est faux, c’est une mauvaise interprétation des textes.

Enfin, les exciseuses en tirent un bon revenu, et n’ont pas toujours envie que les choses changent. Selon les régions, ces femmes peuvent être payées en huile de palme, en riz, fonio…Elles sont aussi nourries par les familles pendant les 10 jours de récupération des jeunes filles, elles bénéficient aussi de cadeaux lors de la grande fête de célébration de l’excision.

KadiFM : Et le positif dans tout ça ?

 

Mariama Djélo Barry : Il y a tout de même de nombreux progrès à relever. Tout d’abord, nous avons réussi à démystifier le problème, véritable tabou dans le passé. Il y a également une relève bien présente, dans multiples ONG comme le Club des Jeunes Filles Leader de Guinée, ainsi qu’une participation étatique bien visible. Le département des affaires sociales comprend tout un volet consacré à l’enfance, notamment la lutte anti-MGF. Enfin, la presse fait avancer les choses. Aujourd’hui, les journalistes s’intéressent au sujet, partent à la recherche de l’information. Il y a 30 ans, c’était l’inverse, il fallait chercher la presse pour pouvoir témoigner.

 

Propos recueillis par Marion Bouche pour KadiFM