Mariama Sylla : « Les dépenses ne sont pas faites pour les femmes »

07 Oct
  • Oct 07, 2024

Appelons-la Mariama Sylla. La quarantaine révolue, elle demeure sans époux. Mais a en charge des nièces dont elle s’occupe de l’éducation. Cela fait d’elle une mère célibataire. Un statut très délicat dont elle nous parle ici sans filtre. Il en ressort que son statut, elle le porte comme un fardeau. Mais Mariama l’avoue : le plus grand défi, ce n’est pas qu’elle peine à trouver de quoi entretenir ses nièces. C’est cette perception négative que son statut renvoie d’elle. A son âge, l’absence d’un mari l’expose à tout : un regard de travers, les nombreuses tentations, les sévères jugements du voisinage, les commentaires déplacés, etc. Des défis et des obstacles qu’elle doit affronter et surmonter seule, en silence. Parce que dans la société guinéenne, une célibataire n’a que le statut qu’elle mérite.

Dans cet entretien exclusif et fort instructif, elle s’est confiée avec la seule exigence que l’anonymat lui soit garanti.

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Kadi FM : Pouvez-vous nous en dire plus sur votre situation familiale et votre rôle en tant que tutrice de vos nièces ?

Mariama Sylla : Je suis célibataire, et je suis en charge de deux fillettes. Ce sont mes nièces. L’une est venue du village, d’une famille extrêmement pauvre. Elle est issue d’un cousin lointain. J’ai décidé de la prendre malgré ma situation. Parce que dans mon village, les filles sont mariées à 13 ou 14 ans maximum. Lui (ce cousin lointain) n’a même pas 30 ans, mais il a 2 femmes et plus de 12 enfants. Il m’a amené deux de ses filles. Il y en avait déjà une autre chez moi.

Comment vivez-vous votre statut de cheffe de famille célibataire ?

Être mère célibataire, c’est un sujet dont on ne parle pas souvent. Les femmes qui ont des enfants en charge sont aussi vulnérables. Comme les femmes handicapées et celles qui vivent dans l’extrême pauvreté. Les dépenses ne sont pas faites pour les femmes. Assurer les repas, payer le loyer, payer l’hôpital en cas de maladie, instruire les enfants, ce n’est pas fait pour les femmes. Il faut être une femme accompagnée par un homme pour le faire sans être exposée. Malheureusement, c’est un sujet dont on ne parle pas souvent chez nous. Pourtant, nous sommes très nombreuses, des femmes qui ont la charge des enfants. Soit elles ont des enfants avant le mariage parce qu’elles n’ont pas eu de mari, soit elles ont divorcé.

D’où tirez-vous les ressources qui vous permettent de prendre ces enfants en charge ?

Je suis dans la fonction publique depuis 15 ans. Mais je ne peux pas aller sur mon compte et retrouver deux millions. Parce que c’est cette année que le salaire a augmenté à plus de trois millions. Sinon, on était dans les deux millions. Or, la maison la moins chère, c’est dans les deux millions cinq cent ou trois millions. Comment, donc, faire pour joindre les deux bouts ? Je fabrique des galettes. Comme c’est la période des vacances, après l’école coranique, elles revendent. On économise et on essaie de payer les fournitures et les frais de scolarité. On se débrouille un peu partout. C’est comme ça que ça se passe. On ne peut pas s’offrir un plaisir. En dehors des galettes, je suis dans les tontines du quartier. Quand je reçois, j’essaie d’investir dans quelque chose. Mais j’avoue que ce n’est pas facile.

Outre les enfants que vous avez en charge, quels sont les autres problèmes auxquels vous faites face ?

La principale difficulté que je rencontre, c’est le côté financier. Parce que quand tu avances en âge et que tu n’as pas de mari, tu es exposée à beaucoup de choses. Nous sommes exposées à toutes sortes de violence. Parce qu’un monsieur qui sait que tu loges seule avec tes enfants, peut en profiter. Et le voisinage te dénigre parce que tu n’as pas de mari. Mais comme je suis intellectuelle, j’essaie d’oublier ce côté, mais la culture ne me le permet pas. Il y a des ONG qui sont dans les différents quartiers. Mais elles s’occupent des personnes âgées et des handicapés. Nous, on ne peut pas parler de nos difficultés. Parce que quand on nous voit sortir travailler, on dit que nous ne voulons pas travailler alors qu’ils ne savent pas ce que nous vivons. Et même dans les différents services, ce sont parfois les responsables qui profitent.

Avez-vous été violentée à votre lieu de travail ?

J’ai subi à maintes reprises des cas comme ça où les gens me parlent n’importe comment parce que je ne suis pas mariée. Ils disent que c’est une femme de la vie, à son âge elle n’est pas mariée. Dans le service, parfois on n’accepte pas que tu accèdes à des postes de responsabilité parce que tout simplement on pense que tu n’es pas une femme bien organisée. Chacun cherche coûte que coûte à se marier. Et je ne suis pas la seule, j’ai aussi des amies qui vivent la même chose.

Se substituer à la figure masculine dans l’éducation des enfants, est-ce aisé ?

J’ai reçu une bonne éducation de mes parents. Je suis un peu stricte. Parce que je sais ce que je subis dehors. Quand je pense à mon cousin qui est au village, qui a 12 enfants et qui a accepté que je sois avec sa fille, c’est pour l’aider. Parmi ces 12 enfants, c’est seulement celle qui est avec moi qui va à l’école. J’arrive vraiment à gérer parce que j’arrive même à discipliner. On n’est pas en Europe pour interdire de frapper les enfants. Je parle avec elles ; si elles essaient de divaguer, je corrige. Parfois, si je suis en déplacement, le mari de ma petite sœur, la benjamine, accepte que j’envoie les filles chez lui. Ce dernier les effraie et il les conseille parfois. Sinon, à part ça, je me bats comme je peux.

Avez-vous rencontré des ONG ou d’autres organisations pour vous aider ?

Les ONG sont plus focalisées sur les personnes handicapées. Il y a aussi les femmes veuves. Elles sont à Kaloum. C’est rare qu’on parle des femmes célibataires en Guinée, on n’en parle pas. Et les gens ne savent pas les difficultés auxquelles ces femmes sont confrontées. On les minimise. Nous aussi, on ne veut pas nous exposer. Parce que si tu te mets à t’exposer, on va te qualifier de n’importe comment. C’est pourquoi on se bat comme on peut.

Quel appel lancez-vous à l’État guinéen pour vous aider ?

L’appel que j’ai à lancer, c’est de dire à l’État de penser un peu à nous, les femmes célibataires qui avons en charge des enfants. Car nous sommes soit des femmes divorcées, soit des femmes veuves. Si l’État peut aussi penser à ce type de femme, je pense que ce serait une bonne chose. Je pense que si on parle de l’épanouissement de la femme, l’État ne le favorise pas. Parce que quand l’État dit qu’il aide les femmes à s’épanouir, je me demande alors de quel type de femme il s’agit. Car ce sont toujours les mêmes organisations qui existent. Il faut savoir qu’il y a des ménages vulnérables dans les quartiers. Soit ce sont des veuves, soit des femmes qui n’ont jamais eu de mari. Elles sont dans les quartiers, il faut aller dans ces quartiers pour identifier ces personnes-là. L’État doit penser à la situation de ces personnes. Il n’y a pas que les personnes handicapées qui ont besoin d’aide. Il y a d’autres personnes aussi en Guinée qui sont vulnérables, mais on n’en parle pas souvent.

 

Propos recueillis par Mamadou Mouctar Bah