Hadja Makalé Camara : « Si on donne ce pays aux femmes, il changerait en mieux »
Que pense-t-elle de la récente élection américaine qui a vu Donald Trump l’emporter largement face à Kamala Harris, la candidate démocrate. C’est la principale question que nous avons posée à Hadja Makalé Camara, présidente du Front pour l’alliance nationale (FAN). L’actrice politique y voit notamment le réflet d’une société américaine qui n’est pas encore prête à confier la fonction suprême à une femme. Quoiqu’à ses yeux, ce n’est pas le seul facteur qui aura joué contre la candidate démocrate dont elle salue le charisme et la mobilisation. Néanmoins, de cette défaite qu’elle déplore, elle tire l’enseignement que les femmes doivent continuer à batailler jusqu’à la victoire ultime. Parce que dans l’absolu, elle reste habitée par la conviction que la femme est meilleure dirigeante. Elle espère d’ailleurs que les femmes auront l’occasion de le prouver.
Ci-dessous l’entretien exclusif qu’elle a accordé à notre rédaction
Kadi FM : Quelle a été votre expérience de l’élection américaine du 5 novembre dernier ? Pouvez-vous partager vos impressions sur cette élection et ce que vous en retenez personnellement et politiquement ?
Hadja Makalé Camara : Je pense qu’à l’instar de toutes les femmes du monde, nous aurions aimé voir une Kamala Harris être élue, parce que c’est un exemple de femme en démocratie, ça aurait peut-être donné l’exemple à tout ce monde, à tous ces présidents et tous ces pays, à tous ces hommes de réaliser que les femmes peuvent diriger le pays. L’expérience que ça m’a donnée, c’est que les femmes doivent encore redoubler d’efforts, parce que rien n’est acquis d’avance. D’ailleurs généralement, là où les hommes donnent une fois, les femmes doivent donner trois fois.
Kamala Harris a tout donné, elle a la capacité, le charisme, l’expérience pour diriger le destin d’un grand pays comme les États-Unis, mais les Américains ne sont pas prêts à élire une femme, par ce que la surprise a été brutale, Trump a largement gagné. On avait estimé que la différence de voix aurait été minime, mais voilà qu’il a largement gagné. Mieux, son camp remporte la chambre des représentants et le sénat. Quant à la Cour suprême, il y a nommé trois juges. Tout cela lui confère une force évidente.
Comment interprétez-vous la défaite de Kamala Harris ? À votre avis, quels facteurs ont contribué à cette défaite, et comment cette situation influence-t-elle votre perception de la politique américaine ?
Comme je le disais tantôt, les Américains ne sont pas prêts à élire une femme, sinon Hilary Clinton devait passer aussi, c’est une grande femme avec une grande expérience, une femme d’Etat qui connaît les rouages de la gouvernance américaine. Le deuxième facteur qui a joué contre Kamala Harris, c’est le fait qu’elle est venue tard dans la campagne politique, elle n’a pas eu assez de temps. Alors que Trump, depuis qu’il est parti de la Maison blanche, il était en train de se préparer. Ces facteurs l’ont amené à cette défaite. N’oubliez pas aussi que c’est une femme de couleur. Aux États-Unis, ce n’est pas facile qu’une personne de couleur puisse rayonner comme cela se doit. Barack Obama est un prodige, une chance, c’est un monsieur tellement charismatique que le monde entier voulait qu’il soit élu. Il a été élu et il a eu deux mandats. Si c’était dans leur constitution, il pouvait avoir un troisième mandat. Entre autres, je pense que ces facteurs ont fait que Kamala n’a pas été élue, mais elle n’a démérité en rien, elle a fait une campagne magnifique, grandiose, je lui conseillerais de ne pas baisser les bras et de persévérer, parce que le succès est au bout de l’effort. C’est l’exemple qu’elle nous laisse, nous autres femmes politiques, qu’il faut se battre, toujours se battre. La leçon que je peux en tirer, c’est qu’une élection se prépare à l’avance pour être dans la conscience collective, pour être dans la tête des gens au point que quand ils ferment les yeux, qu’ils vous voient en position de leadership.
Quelle est votre analyse de la candidate démocrate durant la campagne ?
Kamala Harris a fait montre de charisme. Elle ne s’est pas reposé, elle s’est battue comme une lionne, de toutes ses forces. C’est pourquoi j’ai dit qu’elle n’a pas démérité, elle a beaucoup travaillé, mais ça n’a pas suffi. Il faut qu’elle persévère. Je pense que si je fais la relation avec la Guinée par rapport à ma personne, par rapport aux autres femmes, éminentes de ce pays qui se battent pour s’en sortir, pour démontrer que les filles de ce pays ont des choses à démontrer et à donner à leur pays, le message serait qu’il faut continuer le rassemblement, les femmes doivent se concerter, être dans un cadre de concertation pour créer une synergie, harmoniser leurs actions et se soutenir les unes les autres, quel que soit le domaine d’activité. Que ça soit la femme rurale ou urbaine, les femmes du marché, les femmes entrepreneuses, les femmes politiques, les femmes devront se tenir la main, se soutenir et tendre la main à la collaboration intergénérationnelle, nos filles doivent nous remplacer, il faut passer le flambeau pour qu’il y ait beaucoup plus de femmes dans les instances de décision
En tant que promotrice de l’engagement des femmes en politique avec l’initiative ‘La Guinéenne en politique’, comment cette élection influence-t-elle votre combat ? Cette élection aux États-Unis vous incite-t-elle à intensifier votre engagement ou à adopter une approche différente ?
On n’a jamais baissé les bras, en tant que femmes, on est des résistantes pour détourner les pièges et aller vers notre objectif. Je pense néanmoins que plus de femmes capables, compétentes sur la scène publique, cela peut changer le regard des autres. S’il y a quelques femmes comme aujourd’hui qui sont sur cette scène et qui démontrent toutes leurs capacités, mais ce ne sont que quelques femmes, le happy few. Nous voulons une masse de femmes compétentes qui démontrent combien les femmes sont au chevet de cette république, et combien elles peuvent transformer les choses, elles peuvent innover et pour cela, c’est la formation. Nous sommes en train de former les femmes, éveiller leurs connaissances sur leur pouvoir intrinsèque et nous allons continuer, nous allons préparer les femmes pour les élections prochaines. Il faut qu’il y ait beaucoup plus de femmes aux postes de décision, que cela soit au niveau communal, législatif ou présidentiel, il faut amener les femmes au-devant de la scène parce que nous sommes les plus nombreuses et ce n’est que justice sociale.
Certains observateurs pensent que la défaite de Kamala Harris montre que la société américaine hésite encore à placer une femme au sommet de l’État. Que pensez-vous de cette réflexion ? Ce sentiment se reflète-t-il dans votre propre expérience ou votre analyse de l’engagement politique des femmes en Guinée et ailleurs ?
Cela c’est l’évidence même. Les hommes ne veulent pas voir les femmes être devant, ce ne sont pas seulement les Américains, nous avons l’expérience de la France avec Ségolène Royal contre Nicolas Sarkozy, nous avons Marine Le Pen qui traîne. En tout cas ces pays et les pays africains ne sont pas prêts à voir les femmes devant. En Afrique, la seule présidente bien élue c’est Ellen Johnson Sirleaf les autres sont arrivées soit pour une transition, soit en remplacement d’un président défunt. Les femmes ont acquis aujourd’hui des droits qu’elles n’avaient pas, aujourd’hui nous sommes en train de nous battre dans ce pays pour que la parité soit transcrite dans la loi pour que les femmes puissent en bénéficier, pour celles qui sont compétentes, pétries de connaissances et d’expérience. Parce qu’il faut noter que je ne suis pas pour le favoritisme, parce que si on nomme une femme qui n’est pas à la hauteur et qui ne peut pas valablement remplir son poste, elle va discréditer les autres femmes. Ils vont dire, on vous a dit que les femmes ne sont pas à la hauteur. Mais il y a combien d’hommes médiocres aujourd’hui à des postes, ils ne savent rien faire, mais ils sont là parce que ce sont des hommes, parce qu’ils ont des relations, parce que c’est la corruption. Si on donnait ce pays aux femmes, ce pays changerait en mieux, nous aurons une gouvernance vertueuse et nous allons démontrer qu’un pays se dirige avec la tête et avec le cœur, avec la compassion pour les autres, avec la main tendue. Quand on est au pouvoir, on ne commande pas pour soi, mais pour les autres, et que nous sommes les serviteurs du peuple, c’est ça le pouvoir.
Propos recueillis par Djenaba Mara